Par Marc Parverie
Les juifs quittant al-Andalus viennent renforcer les communautés déjà bien implantées en Languedoc et Provence, à Narbonne, Béziers, Montpellier, Lunel, Beaucaire, Saint-Gilles, Arles et Marseille (8). Il en est ainsi de Juda b. Tibbon, qui quitte al-Andalus en 1150 et s’installe à Lunel comme médecin.
Les mozarabes, quant à eux, gagnent majoritairement Tolède et la vallée du Tage, mais aussi l’Aragon (9). Certains poussent-ils jusqu’aux domaines languedociens de la couronne d’Aragon ? Les transferts techniques (constructions en pisé, céramiques…) perceptibles à cette époque du monde musulman occidental vers le Languedoc et la Provence (10) pourraient de fait suggérer un déplacement d’artisans spécialisés d’al-Andalus, qu’ils soient de condition libre (émigrés chrétiens) ou servile (captifs musulmans).
À Marseille notamment, la production dans le bourg des Oliers (dès la fin du XIIe siècle) de vaisselle de table, coupes, vases, aquamaniles… destinés à l’aristocratie locale témoigne de l’importation de techniques de fabrication typiques du Sharq al-Andalus (le Levant d’al-Andalus, avec Majorque, Murcie, Alicante…) et suggère la présence d’artisans venant de ces régions (11). Ph. Bernardi, rapprochant cette découverte de la présence attestée par les textes d’esclaves sarrasins à Marseille, avance l’hypothèse d’ateliers fonctionnant avec une main d’oeuvre servile qualifiée originaire d’al-Andalus (12). La découverte d’inhumations de rite musulman semble d’ailleurs confirmer l’existence à Marseille d’une petite communauté « sarrasine » au début du XIIIe siècle (13).
À Montpellier aussi, la découverte de pierres tombales pose la question de l’existence, dès le XIIe siècle, d’une petite colonie musulmane (14). L’ouverture de Montpellier sur le monde méditerranéen est de fait confirmée par Benjamin de Tudèle (c. 1130-1173), qui y mentionne la présence de marchands tant musulmans que chrétiens (15).
Les déplacements de population, souvent forcés, sont donc nombreux dans la deuxième partie du XIIe siècle, ce qui pourrait expliquer la présence en Languedoc et Provence de petites monnaies d’argent almoravides. Ces découvertes viennent compléter, même modestement, nos connaissances sur la circulation des monnaies arabes (essentiellement d’or) dans le sud de la France à une époque où les mouvements de populations, les échanges commerciaux, culturels et techniques semblent particulièrement importants dans le bassin occidental de la Méditerranée.